L’impact des transferts d’argent sur la consommation privée, l’épargne et l’investissement n’est que l’un des aspects de leur contribution à la croissance et au développement des pays d’origine des émigrés. Cet argent vient s’ajouter non seulement au revenu intérieur des ménages mais aussi au volet « recettes » de la balance des paiements.
Les transferts compensent les déficits chroniques de la balance des paiements en réduisant la pénurie de devises. Ils peuvent aider à atténuer la contrainte souvent vitale que font peser les déficits de la balance des paiements sur le développement économique des pays d’origine des migrants. Leur impact sur cette balance est plus appréciable que celui des autres flux monétaires (telles que l’aide financière, l’investissement direct ou les prêts) parce que leur utilisation n’est pas liée à des projets d’investissement particuliers exigeant un fort pourcentage d’importations, qu’ils ne sont pas productifs d’intérêts et n’ont pas à être remboursés. En outre, les transferts constituent une source de devises beaucoup plus stable que les autres flux de capitaux privés et, dans certains pays, présentent un caractère contracyclique (Buch et al., 2002; Buch et Kuckulenz, 2004; Nayyar, 1994; Straubhaar, 1988).
Les pays en développement se sont très vite rendu compte de cet effet manifestement positif des transferts d’argent sur leur balance des paiements, et ont pris des mesures pour accroître cet afflux de devises. Mais ces mesures doivent être appliquées avec prudence parce que, mis à part leurs effets positifs sur la balance des paiements, les transferts influent sur l’activité économique du pays d’origine. Selon la manière dont il est dépensé ou investi, cet argent n’aura pas le même impact sur la production, l’inflation et les importations.
Savoir dans quelle mesure la demande supplémentaire induite par les transferts peut être satisfaite en étoffant la production intérieure constitue un facteur déterminant. Selon que l’offre intérieure réagira de manière plus ou moins souple face à l’accroissement de la demande, les transferts auront des effets positifs sur l’emploi ou négatifs sur l’inflation.
Cette souplesse déterminera également s’il y a lieu ou non d’importer davantage.
L’un des effets négatifs des transferts sur la balance des opérations courantes est ce que l’on appelle « l’effet boomerang ». C’est ce qui se produit quand les transferts provoquent une augmentation des importations et des déficits de la balance commerciale de leur pays de destination. Toutefois, la plupart des chercheurs ne partagent pas l’opinion selon laquelle ce sont les importations induites par les transferts qui créent ces problèmes de balance commerciale. La propension à importer peut aussi s’accroître par suite du développement de l’économie en général, d’un changement structurel dans la production des biens de consommation ou d’équipement, ou de la division internationale du travail.
La recherche empirique ne confirme pas non plus l’effet boomerang. Les données montrent que dans les pays d’Europe du Sud, les importations induites par les transferts entre 1960 et 1981 ont représenté des minima de 1 % en Espagne et en Italie et des maxima de 4.9 % en Grèce et de 6.2 % au Portugal (Glytsos, 1993; Straubhaar, 1988).
Les transferts de fonds peuvent engendrer un autre effet négatif dans les cas où ils induisent une augmentation de la demande supérieure à la capacité de production de l’économie. Lorsque cette demande concerne des biens échangeables, ils peuvent provoquer une appréciation du taux de change réel. Or, un taux de change surévalué réduit la compétitivité des entreprises du pays sur les marchés étrangers (parce que les exportations deviennent chères) et sur les marchés intérieurs (parce que les importations sont peu coûteuses), et redirige les ressources du secteur des biens marchands vers celui des biens non marchands, par un effet connu sous le nom de « syndrome hollandais ». Ce phénomène peut à son tour créer des pressions sur la balance des paiements, ralentir l’accroissement des opportunités d’emploi et, par conséquent, renforcer l’incitation à émigrer. Des données empiriques provenant d’Égypte, du Portugal et de Turquie confirment ces craintes quoique l’effet demeure marginal dans la plupart des cas et des périodes d’observation (McCormick et Wahba, 2000; Straubhaar, 1988). Si l’effet de « syndrome hollandais » exercé par les transferts est insignifiant, c’est peut-être parce que les importations supplémentaires de biens d’équipement peu coûteux augmentent la productivité et, par conséquent, améliorent la compétitivité des produits intérieurs. De surcroît, les biens d’équipement importés peuvent se substituer à d’autres importations et/ ou produire des biens exportables.
Par ailleurs, dans un système fondé sur une monnaie non convertible, le privilège de détenir des devises, quand il se conjugue avec des tensions inflationnistes, peut avoir des conséquences néfastes en termes monétaires. Dans les pays du Maghreb, par exemple, le développement d’un marché noir pour les devises, le recours croissant au troc dans le commerce extérieur et intérieur ainsi que le prix très élevé des biens provenant de l’étranger ont créé dans les années 80 et au début des années 90 une situation dans laquelle des devises étaient utilisées à la place de la monnaie du pays pour payer des articles de luxe ou pour acheter des services (de manière à les obtenir plus rapidement).
Dans les cas de substitution monétaire tels que ceux-ci (connus dans les ouvrages et la documentation sous le nom de « dollarisation » ou « euroïsation »), les autorités des pays dont la monnaie n’est pas convertible ont pris l’habitude de dévaluer périodiquement celle-ci pour attirer les transferts opérés par les émigrés. L’Algérie, par exemple, a commencé à dévaluer le dinar après 1985, ce qui fait que la valeur de cette monnaie est passée de 5 dinars pour 1 dollar cette année-là à 9 dinars en 1990 et à 20 dinars pour un dollar en 1992 (Garson, 1994).
Dossier: Perspectives des Migrations Internationales : SOPEMI–Édition 2006, OCDE 2006